La decision d'Hylia

A Maureen…

Que faire ? Cette question déchirait Lynnaed de plus en plus. Il s’assit sur les marches millénaires, caché dans l’ombre, dans l’attente de la venue d’Hylia. Il allait venir, le vieux Lydran en était certain, dans trois minutes précisément, trois courtes minutes… Il poussa un juron sonore et lança un regard dépité aux cieux. A ses côtés se dressait le temple sacré de son peuple. Haut de prêt de soixante dix mètres il formait le centre de la cité. Construit à même le tronc de l’arbre monde sa façade était décorée de multiples signes Lydran.
La guerre avait durée bien trop longtemps, cela faisait plusieurs décennies que son peuple mourrait au combat, les Mages se battaient avec toujours plus de fougue, ils semblaient ne connaître ni la peur ni la douleur, leur avenir était obscurci par un nuage délétère qui jamais ne voulait disparaître. Et du néant ils avaient surgis, les Fils d’Herudy ! A la pensée de ce nom le vieux souverain sentit un frisson de plaisir mêlé d’une douloureuse amertume. Alors que la victoire leur était promise les êtres de magie furent contraint de reculer, affaiblis pas la fureur sans limite des guerriers sombres. De dangereux terroristes ils étaient devenus les libérateurs de ce monde meurtris. Autoproclamés héros de la vie ils ont tous chutés, anéantis par un mal qu’eux même avaient créés. Lynnaed soupira tristement, pourquoi ? Le sort du monde était entre ses mains ! Et il n’avait rien fait, ou plutôt si, par sa lâcheté Herudy s’était consumée dans les flammes divines.
Mais à présent cela n’était plus que de l’histoire ancienne, il avait accompli son devoir de roi et vaillamment mené son peuple à la paix. Les branches de l’arbre monde résonnaient encore des cris de liesses de ses chers citoyens, ils fêtaient tous cette victoire décisive sans se soucier de ce que le futur leur réservait. Il aurait sûrement du les rejoindre mais le vieux Lydran n’avait pas le cœur à la joie, bien au contraire. Les trois minutes de répit étaient déjà écoulées qu’une ombre se rapprocha du petit être.
- La nuit est tombée Lynnaed. Une voix douce empreinte d’une tristesse infinie et d’une froide détermination.
- Hylia, te voilà enfin, ou plutôt dirais-je déjà. Le souverain se remit debout lentement et leva la tête vers son interlocuteur, lui-même avait le visage caché sous une capuche noire. Il connaissait la suite, par habitude le roi allait s’opposer à son ami mais finirait par céder.
- Je savais que tu serais là bien que ta présence m’étonne toujours. L’être mesurait bien moins de deux mètres et semblait fétiche sous sa longue cape.
- Tu peux encore revenir en…
- Pourquoi tenter de me faire changer d’avis alors que tu as déjà accepté ? Dans le mille, Lynnaed lâcha un soupir de tristesse et se jeta à l’eau.
- Il doit bien avoir une autre solution !
- Tu sais très bien que non mon ami, tout est finit, le destin de la vie est scellé, même avec ton fabuleux courage tu ne pourras rien y faire.
- Mais si tout est finis pourquoi sacrifier ta vie ? Tu pourrais rester ici, finir ton existence tranquillement en la compagnie de Maoryna. Hylia éclata d’un rire sans joie.
- Parce que jamais oh grand jamais je ne pourrais trouver la paix intérieure à laquelle j’ai toujours aspiré. Tout est de ma faute, en tant que dernier représentant des Fils d’Herudy il est de mon devoir de tenter de sauver ce qui peut l’être encore.
- Ta mort ne sauvera pas Al Naen. Le souverain paniquait de plus en plus, la situation lui échappait, il tentait de gagner du temps, son ami allait le quitter, il le savait mais entendre sa voix un peu plus lui procurait un plaisir infini.
- Je sais… Mais je ne peux accepter de voir le monde dépérir sous mes yeux.
- Alors tu vas te sacrifier comme un lâche ?! Et puis, comment être sûr que le destin de ce monde est scellé ?
- Parce que je l’ai moi-même anéanti Lynnaed, j’ai condamné la vie à la nuit. Le Lydran s’affaissa sur lui-même, il ne parvenait toujours pas à accepter la vérité.
- Je croyais que…
- Tu croyais en des mensonges mon ami, tout est de ma faute, à présent laisse moi accomplir mon destin.
- Et Yssan ? Que fais tu de lui ? A l’entente de ce nom Hylia tressaillit.
- Yssan a été tué par ses idées ! Il s’est lui-même donné la mort ! Lynnaed le fusilla du regard.
- Peut être mais lui aurait pris la bonne décision.
- Tous les choix étaient mauvais, la vie s’est elle-même condamnée. Le vieux souverain se rassit, il se sentait disparaître, dévoré par la honte et la tristesse. Avoueras-tu la vérité à ton propre peuple ? Le Lydran soupira de nouveau.
- Leur dire quoi ? Que la vie va disparaître par notre faute ? Leur dire que les Fils d’Herudy ont anéanti leur avenir ? Je préfère laisser planer l’espoir illusoire que tout ira bien.
- Est-ce ton éternelle sagesse ou ta lâcheté qui a parlé ?
- Tu es mal placé pour me faire la morale ! Hylia ricana bruyamment.
- Tu ne perdras donc jamais ton arrogance. Lynnaed pouffa malgré lui.
- En effet, c’est ma seule et unique qualité.
- Tu te méprends grandement, mais peu importe, le temps passe, mon heure est venue. Le Lydran mit quelques secondes avant de répondre.
- Très bien, dans ce cas suit moi. Lynnaed se leva et franchit l’immense porte en forme de demi ellipse. Hylia attendit un instant et vint à sa suite. L’intérieur du temple était faiblement éclairé par d’innombrables bougies. La nef s’étirait sur une vingtaine de mètres, des bancs étaient disposés de chaque côté de l’allée. Les deux êtres se déplaçaient tels des ombres, le frottement des capes produisait un bruissement sinistre. Les deux amis avançaient sans jeter le moindre regard aux merveilles du temple. Ils s’arrêtèrent devant un mur arborant une fresque immense.
- Je me souviens encore du jour où j’ai admiré cette peinture pour la première fois. Lynnaed lui jeta un regard attendri.
- Je m’en souviens très bien, la mort n’avait pas voulu de toi. Hylia soupira tristement.
- Hélas oui, peut être sera-t-elle plus indulgente cette fois ci. Aide moi, mon ami de toujours, une dernière fois.
- Comme tu voudras… Le vieux souverain leva les mains vers le plafond du temple et murmura une incantation dans une langue flutée. Aux premiers instants il ne se passa rien, un simple frémissement puis, une explosion de lumière surnaturelle. La pierre devint liquide en quelques secondes. A présent se dressait devant eux un mur agité de vagues tumultueuses. Tu connais le sort qui t’attend derrière ce portail Hylia, il est encore temps de revenir en arrière. Le Fils d’Herudy resta immobile face à l’entité lumineuse, effrayé et impressionné.
- Je suis déjà mort… un simple murmure empli de tristesse. L’être fit un pas en avant puis s’arrêta, hésitant. Mon destin se trouve au-delà de ce voile, je sais ce qu’il va m’arriver et je suis prêt à affronter mon destin mais j’ai pourtant si peur, si peur… Lynnaed se tenait en retrait derrière son ami, totalement immobile.
- Assume ton destin Hylia. Ce fut un honneur de te connaître et c’est avec regret que je dois te dire adieu mais comme tu l’as si bien dit, tout est de ta faute.
- Adieu Lynnaed, adieu mon ami, mon sauveur. Le Fils d’Herudy adressa un maigre sourire au vieux souverain et franchit le portail d’un pas.
- A bientôt Hylia… un faible chuchotement, le temple retrouva son calme, pour l’éternité.