Exode

Après une terrible catastrophe un groupe de voyageurs est contraint de quitter l'empire humain pour ne pas subir la fougue de l'armée. Ils parviennent à trouver refuge dans une petite cité habitée par un mal étrange.

Ce résumé de la situation est plus que succint je pense que cela suffira pour comprendre la majorité de cet extrait. Bonne lecture ^^

Teclyb observait le plafond, le regard indécis. Il tentait de déchiffrer son avenir dans les méandres des fissures mais n’y voyait que le chaos. Le jeune homme porta la main vers son visage, effleura les fines blessures qui sillonnaient sa peau meurtrie. Un flot continue de pensées aggravait son trouble, cet être, ce Fils d’Herudy, qui qu’il soit, l’avait sauvé d’une mort certaine, pourtant, il ne lui inspirait guère confiance, une créature magique. Il s’aida de ses membres pour s’installer plus confortablement dans un lit déjà très douillet.
Kythya entra dans la chambre, un plateau de victuailles au bout des bras. L’apprenti sourit à la vue de son amie. La princesse était radieuse, le retour à la vie du jeune homme avait comblé les brèches de son cœur. La suite de leur chemin semblait sombre et dangereux mais quelle importance ? Teclyb vivait.
- Ca va ? Tu arrives à te remettre ? Elle déposa la nourriture sur le lit ainsi qu’un doux baiser sur la joue de son ami. Il mordit avec entrain dans un morceau de pain et prit son temps pour répondre.
- Dans quelques jours je gambaderai comme un lapin. Où sont Yssan et Livanya ? La princesse perdit toute joie, elle jeta un regard morose au plancher délabré.
- Dans la salle commune, la situation s’est nettement dégradée pour nous. Deux mages, l’armée impériale qui approche… Nous ne sommes plus en sécurité, aujourd’hui ou demain il faudra partir. Le jeune apprenti fronça les sourcils, ses maux de tête l’empêchaient de réfléchir correctement.
- Et les habitants ? Ils vont devenir quoi ? Kythya soupira.
- Il faut espérer que l’Empire chasse le mal qui se cache ici.
- Pour résumé ils peuvent déjà creuser des tombes pour la cité toute entière. L’adolescente le fusilla de ses yeux vairons.
- Ne soit pas si défaitiste !
- Si seulement je l’étais. Yssan entra, seul. Il étira ses lèvres en un sourire rayonnant.
- Teclyb ! Tout va pour le mieux à ce que je vois, un délicieux repas, une demoiselle qui l’est tout autant. Le jeune homme pouffa et sourit à son tour, il s’étira ostensiblement et prit l’air blasé.
- Oui je suis pas vraiment à plaindre. Kythya leva les yeux au ciel et éclata de rire. Livanya va bien ?
- Oui ne te fait pas de souci, elle aurait aimé rester auprès de toi mais hélas une affaire urgente l’a retenue. Tu la verras ce soir. Teclyb hocha de la tête, satisfait.
- Bon, je crois que ce grand gaillard a besoin d’un peu de sommeil. Son ami bailla bruyamment pour lui donner raison.
- A toute à l’heure belle princesse. L’adolescente fit un signe de la main et referma la porte en silence. Elle suivit Yssan dans les couloirs du manoir.
- Tu n’as pas parlé de sujets épineux avec mon jeune apprenti ? N’est ce pas ? L’adolescente adressa un regard assassin au Madjeydyh.
- Non et je me demande bien pourquoi, tu ne méritais pas que je me retienne.
- Kythya… Les yeux suppliants du Maître ne parvinrent qu’à attiser la colère de sa jeune amie.
- Ce que tu as fait est impardonnable Yssan, encore une erreur telle que celle là et tu me le paieras. Je ne l’ai pas fait pour toi mais pour notre groupe. La princesse s’éloigna d’un pas vif en ruminant contre le Madjeydyh.



Teclyb se leva, complètement reposé après une longue sieste de plusieurs heures. Le jeune homme s’habilla lentement et vint s’observer dans une glace. Les blessures avaient totalement disparue, sa peau était aussi douce que celle d’un bébé, il haussa des épaules, un peu lassé par les événements étranges, et sortit de la chambre.
Le soleil entamait sa lente descente vers l’Au-delà, la température commençait à baisser dans l’immense manoir de Patounia. L’apprenti s’étira longuement et partit se promener pour renouer avec son corps. Il régnait une étrange fébrilité dans la population, une lueur d’espoir semblait renaître dans le cœur de cette ville meurtrie. Les enfants jouaient avec un nouvel entrain, les adultes souriaient. Une petite fille lui offrit une jacinthe à l’odeur enivrante. Il inspira le délicieux parfum et s’appuya sur un balcon, la cité morte s’étalait aux pieds de l’immense édifice mais Teclyb se sentait en sécurité, loin de tout ce malheur.
- De nouveaux debout ? Il se retourna lentement, Livanya l’observait, un mince sourire au coin des lèvres, elle était malheureuse, il en était certain mais ne comprenait pas pourquoi.
- Heu oui… je vais beaucoup mieux. Un long silence s’installa entre les deux amis. L’apprenti appréciait cette quiétude, il se sentait heureux en présence de la jeune femme, son âme était entière après tant d’années de séparation. Il la dévisagea discrètement, son visage s’était totalement fermé, elle ne tentait plus de cacher son désespoir. Qu’est ce qui va pas ? Elle ferma les yeux et baissa la tête.
- Tu n’es pas au courant ? Teclyb se força à réfléchir, il ne pouvait se permettre de paraître idiot dans un tel moment, il ne voyait aucune raison d’être triste. A regret il du admettre la vérité.
- Je ne comprends pas, les gens semblent si heureux, pourquoi pas toi ? Livanya éclata d’un rire nerveux et plongea son regard dans l’immense forêt des Lydran.
- Oh oui les gens sont heureux, et il y a de quoi, l’armée Impériale sera ici dès demain et purgera Patounia de son mal. L’apprenti fronça des sourcils, était ce encore une étrangeté féminine ?
- Alors tu devrais t’en réjouir !
- L’heure du départ approche, ce cher Dounio n’aura pas la moindre pitié pour vous. Le ton froid et glacial fit disparaître toute joie dans le cœur de son ami. L’espace d’un instant il avait cru son exode terminé mais elle commençait à peine, cette cité n’était qu’une étape comme une autre, demain il serait dans le monde Lydran.
- Oui je sais, tant pis tu viens avec… La vérité le frappa avec une violence inouïe, non, elle ne viendrait pas avec eux. La tristesse de son amie déferla sur lui en une vague noirâtre. Livanya confirma ses pensées d’un regard sombre. Pourquoi ? La voix suppliante ne parvint même pas à fissurer l’armure émotionnelle de la jeune femme.
- Je suis née ici, j’ai vécu ici, jamais je n’ai quittée ma maison, ma vie est ici Teclyb. Devoir te quitter de nouveaux m’est insupportable mais il le faut, et puis… L’apprenti soupira d’agacement.
- Yssan ? Livanya grimaça à l’entente de ce nom.
- Je ne fais pas partie de votre groupe, il me l’a clairement fait comprendre. Ne lui en veut pas, il n’a pas vraiment tort. Teclyb explosa, ce geste d’autorité lui paraissait totalement injuste.
- Mais pour qui il se prend ? Il n’a pas le droit de décider à ta place ! Si tu veux venir tu viens.
- Laisse tomber, je ne veux pas semer dans la discorde, vas y, ils t’attendent à l’entrée, tu dois t’en aller Teclyb, tu es un fils d’Herudy, pas de « Patounia ». Le jeune homme sentait la panique l’envahir, jamais il n’avait songé à quitter son amie si tôt, si brutalement.
- Quoi ? Qu’est ce que tu racontes ? Je ne vais pas partir maintenant ! Livanya planta ses yeux sombres sur l’apprenti, déterminée.
- Si, il le faut, excuse moi mais je n’aime pas les adieux, ne traîne pas, ton maître ne semble pas de bonne humeur.
- Mais je l’emmerde ! Je ne te quitterais pas ! La jeune femme déposa un doux baiser sur la joue de Teclyb.
- Adieu, mon ami de toujours. Elle s’enfuit à travers le couloir sans se retourner. L’apprenti laissa éclater sa tristesse et s’assit contre le mur.



- Tu exagères Yssan, je ne veux pas critiquer ton choix de laisser Livanya ici, même si je ne l’approuve pas, mais on aurait pu leur offrir des adieux décents ! Kythya et le Maître étaient assis sur des marches, à l’entrée du manoir. La princesse ne tenait plus en place, elle voulait fuir cette cité, s’y enfouir encore plus profondément, retourner dans sa somptueuse Tour d’Or et aller au bout du monde, devenir Mage. Elle caressa avec tendresse l’arc Lydran, le rongeur lui manquait de plus en plus mais elle devait rester forte.
- C’était le choix de Livanya, pas le mien. A présent cesse de te plaindre, il arrive. Le jeune homme avançait d’un pas vif, le visage vide de toute expression, seule une détermination sans faille transparaissait.
- Ca va ? L’apprenti ne prit pas la peine de répondre à son amie et sortit en direction de la cité morte. L’adolescente adressa un regard assassin au Madjeydyh et se mit en marche.
Il régnait l’habituel silence de mort, les trois vivants marchaient en ligne à pas lent, le moindre bruit pouvait attirer une attention sinistre. Kythya ne parvenait pas à s’habituer à cette ambiance malfaisante, quelque chose, ou quelqu’un, les observait, caché dans les décombres des maisons, elle en était persuadée, chaque fibre de son corps suppliait son âme de fuir ce lieu maudit. La sortie était proche, le monde des vivants s’ouvrirait à eux sous forme d’arbres immenses, la forêt Lydran. Un bruissement familier la fit sursauter, le Cristal de Khaydarin. Elle interpella ses amis d’un chuchotement. Les deux hommes s’arrêtèrent et firent cercle autour de l’adolescente. L’objet sacré s’éleva à hauteur de visage. Il vibrait légèrement, une infime lueur en émanait, suffisante pour illuminer la scène lugubre. Du néant l’esprit du seigneur Nedyl envahit l’atmosphère.
« Ils arrivent…»
- Il voulait dire quoi par là ? Un hurlement inhumain retentit dans la pénombre de Patounia. Yssan n’hésita pas un seul instant, il dégaina son épée d’un geste vif et scruta à travers le brouillard.
- On ne va pas tarder à le savoir, sortez vos armes, formez un cercle. Ses amis obéirent sans discuter, les sens aux aguets, prêts à toute éventualité. Une forme minuscule émergea de l’ombre. Teclyb leva son épée, la rabaissa. Un enfant d’environ cinq ans se dressait devant eux, une chemise de nuit déchirée pour seul vêtement, la mine ahurie.
- Où est ma maman ? Kythya fit un pas en avant, immédiatement stoppée par le Madjeydyh.
- Ayez pitié de son âme ô pères d’Herudy.
- Quoi ? Le Maître déposa un baiser sur sa lame et ferma les yeux. Yssan ça va ? L’homme prit une profonde respiration.
- Non ! La princesse s’interposa trop tard, d’un geste souple il trancha la tête de l’enfant. Le visage de mort roula à ses pieds, Kythya ne parvenait pas à détourner ses yeux. Mais qu’as-tu fait ? Ce n’était qu’un gamin ! Un gamin ! Yssan resta un moment immobile, le regard fixé sur le cadavre. Il planta ses yeux translucides sur l’adolescente, elle fit un pas en arrière, apeurée par cette force inhumaine.
- Moult dangers résident dans ce monde et beaucoup peuvent revêtir la forme du bien, cet enfant est mort il y a de nombreux jours, il a été tué par Dicah. Le nom maudit jeta un froid sur le groupe, Kythya frissonna et détourna son regard de la dépouille. Quittons cette ville avant qu’il ne soit trop tard. Le Madjeydyh se remit en marche lentement.
- Yssan… attends. Le Maître soupira de tristesse mais ne se retourna pas.
- Je sais à quoi tu penses mais c’est hors de question.
- Tu laisserais Livanya mourir ?
- Sa vie n’est pas en danger, elle est en sécurité dans le manoir. Teclyb ricana bruyamment.
- Comment peux tu en être sûr ? La princesse dévisageait les deux hommes, une lueur d’inquiétude dans les yeux.
- Dans moins d’une journée l’armée Impériale sera là et Patounia retrouvera sa splendeur, n’as-tu donc aucune confiance en ton peuple ? L’apprenti poussa un juron, il détestait ce genre de question. Pour toute réponse il rangea son épée et se dirigea vers la sortie de la ville. Kythya jeta un dernier regard à l’enfant et suivit ses amis en silence.
Les compagnons ne rencontrèrent pas la moindre opposition jusqu’à la sortie, les ombres encerclaient les vivants, parfois même tentaient de les piéger mais la ville avait retrouvé son calme après la mort de la créature. Ils franchirent les portes en ruine de Patounia d’un pas vif. Yssan s’arrêta et leva la tête vers l’immense forêt qui s’ouvrait aux humains à de nombreux lieus de la cité.
- Notre havre de paix… allons y mes amis. Les deux adolescents reprirent leur avancée d’un nouvel entrain. L’ombre de la ville morte appartiendrait au passé désormais.